TEMOIGNAGES

TEMOIGNAGE DE MOON

ATTENTION CETTE PAGE EST DESTINEE A UN PUBLIC AVERTIT
Voilà ma vie, résumée... Il y aurait encore beaucoup de choses à dire, surtout par rapport à mes parents.

Ceci a été publié (en version coupée) dans un magazine au mois de novembre 2004.

Mon histoire a commencé bien avant ma naissance… Ma mère a été abusée par son père. Cela a duré des années, elle n’a réussi à mettre fin à ce cauchemar que lorsqu’elle lui a fait peur en disant qu’elle était enceinte. Elle devait avoir 17 ou 18 ans…

Bien des années plus tard, je suis venue au monde. Ma mère n’avait pas de désir profond d’enfant, mais je suis tout de même arrivée. Petite enfance normale même si ma place au sein de la cellule familiale était plutôt réduite, mes parents étaient bien à 2 et ne m’accordaient pas de place entière. Mais il y avait un problème : toutes les semaines, j’allais loger chez mes grands-parents maternels, chez cet individu malsain qui avait violé sa fille pendant des années.


J’avais 3 ans et j’entrais à l’école maternelle. C’est là que ma vie a basculé. Mon grand-père me disait que j’étais devenue une grande fille et que je devais apprendre certaines choses sur la vie… Il a commencé par des attouchements, de simples baisers, des caresses… Puis avec le temps, ses gestes sont devenus plus insistants, plus lourds. Il y a eu des fellations, des pénétrations, même de la sodomie… Ses paroles gentilles et rassurantes du début avaient changé. Au départ, il me disait que j’étais sa petite chérie, qu’il faisait « ça » parce qu’il m’aimait, il me donnait des cadeaux quand j’étais gentille avec lui. Comment une petite fille de 3 ans pouvait-elle réagir face à ça ? Je n’ai jamais dit « oui », mais je n’ai jamais dit « non ». Il m’expliquait que c’était notre petit secret, qu’il fallait garder ça pour nous. Mais, ensuite, sa douceur s’est transformée. Il me faisait du chantage, il disait que je ne pouvais pas parler, que si je parlais de notre secret à qui que ce soit, je détruirais la famille. C’est là que j’ai réellement compris qu’il y avait quelque chose de malsain dans ce qui se passait. Jusque là, je pensais que tout était normal, que cela devait se faire partout, je n’étais d’ailleurs pas franchement perturbée à cette époque… Si ma mémoire ne me joue pas des tours.

Mais le cauchemar ne faisait que commencer. Il me violait toutes les semaines, me traitant de pute, de traînée, de salope à chaque fois. Il m’humiliait, il me disait que je n’étais qu’une bonne à rien, qu’une merde. A force de l’entendre, je m’en étais convaincue. Lorsqu’il avait fini, il me jetait mes vêtements à la figure et me donnait l’ordre d’aller me laver parce que j’étais vraiment « une sale fille ». Les sentiments que l’on peut éprouver en de telles circonstances sont tellement ambigus. Il y avait un sentiment d’incompréhension, l’impression d’être perdue et de ne rien comprendre. Mais il y avait aussi du plaisir… Cet horrible plaisir que le corps ressent alors que l’esprit le combat de toutes ses forces. La culpabilité, la honte… Mais aussi la valorisation : une petite merde comme moi était importante aux yeux d’un adulte, quel honneur… Et je me taisais… Il le fallait.

Une étape de plus dans l’horreur a été franchie lorsque j’avais environ 8 ans… Mon grand-père m’a prostituée à ses copains, il a vendu mon corps à 3 de ses amis. Il les invitait de temps en temps pour me violer en échange d’argent. Là, ce fut atroce. Mon corps ne m’appartenait décidément pas, je n’étais pas un être humain, mais un objet ; je n’avais qu’un seul droit : souffrir en silence.

Pendant toutes ces années, j’ai supporté ces atrocités sans en parler à personne, ni à mes parents, ni à mes instituteurs, ni à mes copains. J’étais honteuse, gênée de ce qui se passait. J’étais convaincue que j’étais un être mauvais et que je méritais ce qui m’arrivait. Maintenant, quand j’y repense, je me demande comment j’ai pu survivre de la sorte pendant tout ce temps. J’avais développé une capacité d’adaptation extraordinaire, personne ne s’est douté de rien. Mes résultats scolaires étaient très bons, bien la preuve que tout allait bien. J’ai donc surinvesti les études, l’école était mon refuge.

Puis, quand j’ai eu 10 ans, il est tombé malade et est mort quelques semaines plus tard. J’ai « profité » de cette période pour tout oublier. Ces épisodes de mon enfance avaient disparu de ma conscience. Je n’avais pas la force de les affronter et mon esprit a préféré les ignorer. Si l’on m’avait demandé si j’avais vécu de telles choses, j’aurais répondu « non » sans hésitation et de bonne foi. Mon adolescence s’est donc déroulée comme je le pouvais, mais pas trop mal au fond. J’étais toujours très bonne élève, très appréciée des profs. J’étais timide, réservée et toujours prête à rendre service. Mais je détestais mon corps, j’étais extrêmement complexée, rien ne me plaisait, tout me dégoûtait dans ce tas de chaire que je devais supporter au quotidien. Les garçons ? Je n’étais pas du tout intéressée, ils me dégoûtaient. Je me suis bien forcée quelques fois pour faire comme tout le monde mais ça s’est toujours mal passé. Je cherchais inconsciemment des gens affaiblis et malheureux… Deux garçons que j’ai fréquentés se sont même suicidés. Mais j’avais bien quelques amies qui avaient réussi à voir au-delà de ma réserve et j’avais toujours mes chères études.

La vie s’écoulait donc sans grande joie mais sans problème particulier non plus… Jusqu’à janvier 2002. Suite à des disputes entre ma mère et ma grand-mère maternelle, j’ai commencé à me sentir mal. Au départ, je ne comprenais rien de ce qui m’arrivait. Je faisais beaucoup de cauchemars, pas directement liés aux abus mais où j’éprouvais un sentiment d’abandon et d’impuissance. Puis, des images plus nettes sont revenues, des sensations plus claires. Mes cauchemars se précisaient, j’avais des flashes en plein jour, je faisais des attaques de panique. Je commençais à vraiment perdre les pédales. Plus les souvenirs se précisaient, plus je tentais de me convaincre que j’étais folle, que j’étais en train d’imaginer n’importe quoi. Comment ma mère qui avait été abusée aurait-elle pu passer à côté de la détresse de sa fille ? Malheureusement, j’ai dû affronter la vérité, je n’étais pas folle, je souffrais, tout simplement. Mais que pouvais-je faire ? Si je parlais, allait-on me croire ? J’étais intimement convaincue que l’on me prendrait pour une folle. Je sentais que je m’enfonçais de plus en plus dans une dépression. Boulimie, alcool, dévalorisation de soi, automutilation… J’étais perdue, je ne savais pas quoi faire pour diminuer cette souffrance qui m’enfonçait un peu plus bas chaque jour. Mais je voulais garder l’espoir, je tentais de me convaincre que j’avais juste besoin d’un peu de temps pour admettre ce qui m’était arrivé et que j’avais si longtemps refusé. Mais la situation ne s’améliorait pas, au contraire… Là, je me suis décidée à aller voir un psychologue. Je voulais y croire, je voulais me battre pour pouvoir vivre et non survivre comme je le faisais depuis tant d’années. Mais ce n’est pas facile de trouver un psy compétent pour ce genre de problème. J’en ai vu plusieurs, chacun m’a apporté quelque chose, mais je n’ai pas encore trouvé celui (ou celle) qui me convient vraiment.

Aujourd’hui, je suis donc suivie par un psychologue et j'ai vu une sexologue pendant quelques mois. J’essaie, non pas de me reconstruire, mais de me construire. Jusqu’ici, ma vie a été guidée par le mensonge, la dissimulation, la douleur, la manipulation… Maintenant, je veux être heureuse. Mais le chemin sera encore long. Je suis boulimique, mes liens avec l’alcool sont plus qu’ambigus, je me mutile souvent, je me sens nulle, sans valeur et sans intérêt, je suis en dépression et ne vois jamais que le côté sombre des choses, sans parler des idées suicidaires… Le plus difficile à vivre, pour moi, c’est le phénomène « montagnes russes ». Un jour, je vais bien, le lendemain, je dois me battre à chaque instant pour ne pas en finir avec cette vie qui me semble si injuste.

J’ai déjà parlé du silence, si présent chez moi. Mais, en décembre 2003, suite à une dispute avec mes parents, j’ai parlé. Je leur ai dit ce qui m’était arrivé. Ils m’ont crue de suite et ils regrettaient que je n’aie pas parlé avant. Sur le moment, quel soulagement ! Je me sentais libérée d’un énorme poids. Mais les choses se sont vite compliquées. Je me posais tant de questions… Après le soulagement d’avoir parlé et d’avoir été entendue, la colère m’a envahie. Oui, j’étais (et suis encore) très en colère contre mes parents. Ils n’ont rien vu, rien soupçonné, ils m’ont obligé à aller loger chez ces malades pour avoir une soirée à 2 toutes les semaines. Comment ont-ils pu ? Comment est-ce possible ? Je me rends compte que je ne suis que secondaire à leurs yeux, que leur couple est central, le reste… Et puis, il y a ma grand-mère. Elle savait pour sa fille et a laissé faire, pareil pour moi. Quel monstre peut faire cela ? Elle a même couvert activement son mari. Les liens avec elle ont été rompus. Peu de temps après, elle mourait… Culpabilité, à nouveau…

Maintenant, quand je me regarde, deux choses me marquent. Tout d’abord il y a ce manque de confiance en moi et cette dévalorisation incessante de moi-même. Je me sens toujours moins bien que les autres, je me trouve laide, repoussante, sale, indigne, sans intérêt. C’est très difficile à vivre car c’est un mécanisme de cercle vicieux. Mais aussi, j’ai le sentiment d’être partagée : c’est comme si j’étais composée d’un moi rationnel et d’un moi émotif. Ce moi rationnel analyse, réfléchis, est capable de distinguer le vrai du fantasme. Mais il est toujours submergé par cette partie irréfléchie et incontrôlable ; elle réagit instinctivement sur base des schémas que l’on m’a inculqués dans mon enfance. Je n’arrive pas à écouter ma raison… Mais j’espère y parvenir un jour.

Aujourd’hui, malgré les blessures anciennes, malgré ce que j’ai pu vivre, je fais le pari de la vie et du bonheur. Certes, je ne ris pas tous les jours… bien au contraire. Mais je veux vivre et être heureuse. Je veux prouver aux salopards qui ont tenté de me détruire que je suis plus forte qu’eux. Il n’est pas question de les laisser gagner ce combat. Il me faudra probablement du temps et de la patience mais je sortirai plus forte de ces épreuves.

J’ai aussi un homme extraordinaire dans ma vie. Nous nous sommes rencontrés il y a un peu plus de deux ans maintenant. Il connaît mon passé, il sait par quoi je suis passée. Il aurait pu fuir en courant, prendre ses jambes à son cou mais il ne l’a pas fait. Il est là auprès de moi pour me soutenir. Il est le premier homme que j’aime et qui m’aime. Petit à petit, je me laisse approcher, apprivoiser. Il fait preuve d’une patience d’ange. Il a réussi à me réconcilier (au moins en partie) avec les hommes. Evidemment, ce n’est pas facile tous les jours. Mais on se bat à deux pour un avenir meilleur.

Maintenant, l'espoir guide ma vie... L'espoir d'une vie heureuse. Je veux vivre et me construire. Je me bats pour ça. Ce ne sera pas facile mais je veux y arriver.

Merci à vous.

MOON

Cliquez ici pour contacter moon