DOSSIERS
Comment lutter contre les violences conjugales ?

Questions a Roland Courteau, sénateur de l'Aude

Stephanie : Pour défendre les femmes victimes de violences, un soutien plus important aux associations de défense ne serait-il pas plus efficace qu'une nouvelle loi ?

Roland Courteau : Je pense qu'il faut les deux. Il est évident que les associations ont grand besoin de moyens financiers. Je crois savoir d'ailleurs qu'il manquerait aux associations environ un demi-million d'euros. Je salue d'ailleurs au passage le rôle important, indispensable, des mouvements associatifs. Cependant, à côté du travail accompli par les associations, il faut que, dans la loi, nous puissions mettre en avant quelques mesures dissuasives dans le cas spécifique des violences à l'intérieur du couple, mais également tout un système de prévention le plus en amont possible, c'est-à-dire au collège et au lycée pour permettre l'apprentissage du respect de l'autre, ainsi que des campagnes régulières de sensibilisation du grand public.

Il faut également des aides spécifiques aux victimes des violences, et je pense plus particulièrement à ces femmes qui sont sans travail, donc sans ressources, et qui se retrouvent du jour au lendemain à la rue parce qu'elles ont voulu réagir contre leur agresseur. Bref, aider les associations, oui, c'est indispensable, car elles font un travail remarquable, mais on ne peut pas se dispenser d'une loi spécifique, comme c'est le cas en Espagne ou encore au Canada pour lutter contre ce fléau des temps modernes.

Ellejo : Qu'attend l'Etat pour doter les associations efficaces de moyens financiers minimaux ?

Roland Courteau : Cela ne fait pas partie des compétences du législateur. Mais le sénateur, donc le parlementaire, par le travail de contrôle de l'action du gouvernement, se doit d'intervenir régulièrement pour inciter l'Etat à faire face à ses obligations. C'est regrettable que l'Etat se fasse tirer l'oreille pour doter les associations de moyens conséquents, d'autant plus qu'au fond, si les associations n'existaient pas, il faudrait bien que les services de l'Etat fassent le travail. Je peux vous dire que, maintenant que j'ai confirmation que les associations manquent de moyens, je ferai en sorte d'inciter le gouvernement à faire son devoir par rapport au monde associatif. Mais je n'ai aucune certitude que le gouvernement m'écoutera.

Claude : Pourquoi les violences conjugales, malgré les nombreux cris d'alarme lancés depuis des années, restent-elles un sujet tabou en France ?

Roland Courteau : Le pourquoi, c'est difficile à dire. Le constat que je fais, effectivement, c'est que le grand public n'est pas suffisamment sensibilisé. C'est la raison pour laquelle, dans ma proposition de loi, il y a un volet "prévention", "sensibilisation", "information" du grand public. Je crois que c'est aussi lié au fait qu'il y a un vieux fond culturel machiste. Ce qui me préoccupe, c'est que nous avons de grandes difficultés à obtenir des pouvoirs publics, avec précision, les données chiffrées des violences. Combien de femmes décèdent chaque année ? Nous n'avons pas de données précises et officielles. Nous avons des chiffres qui viennent d'enquêtes nationales, des informations que nous pouvons recueillir. Ce que je veux dire, c'est que nous manquons de données chiffrées également pour les violences en général à l'égard des femmes au sein des couples.

D'où ma question : est-ce dû à la difficulté pour les pouvoirs publics de recueillir ces éléments ? Ou bien cela participe-t-il d'une volonté des pouvoirs publics de ne pas trop divulguer les chiffres de peur de faire trop bouger l'opinion publique, laquelle serait à même de demander à l'Etat davantage de moyens, notamment financiers, pour lutter contre ces violences ? Il est plus facile en France de savoir combien de portables sont volés chaque année que de connaître les chiffres officiels des violences à l'égard des femmes au sein des couples.

Lelene : Pouvez-vous nous indiquer le nombre de femmes victimes de violences physiques et de violences psychologiques en France ?

Roland Courteau : Les chiffres que je vais vous donner viennent d'une enquête de l'an 2000 sur les violences à l'égard des femmes. On considère, d'après cette enquête, et c'est approximatif, qu'il y aurait environ chaque année un million de femmes victimes de violences, pour la plupart psychologiques, mais également physiques.

On estime qu'il y aurait 400 000 femmes victimes d'un cumul de violences, c'est-à-dire physiques et psychologiques, ou physiques ou sexuelles. Autre chiffre : 50 000 femmes par an seraient victimes de viol en général et, pour la plupart, ces viols auraient lieu au sein du couple. J'ajoute que, toujours de façon approximative, selon la même enquête, on considère qu'environ une centaine de femmes décéderaient chaque année des suites de violences au sein du couple. Enfin, et là nous n'avons aucun chiffre, dans ces 100 décès, on ne prend pas en compte les suicides de femmes qui, ayant sombré dans la dépression, mettent fin à leurs jours ensuite.

Lempi : A partir de quand peut-on parler de violence conjugale ? Gifles, paroles...

Roland Courteau : Il y a deux niveaux de violences au sein du couple, qu'il s'agisse du couple marié, du couple pacsé, ou du couple vivant en concubinage. Le premier niveau serait des violences psychologiques : dénigrement, humiliation, dévalorisation, menaces de mort, chantage..., et cela de façon répétée au fil des jours, des mois, des années. Ce que certaines femmes appellent l'enfer conjugal.

Et il y a un deuxième niveau, celui des violences cumulées et graves, c'est-à-dire là où les violences s'entrecroisent : psychiques, physiques, sexuelles. Dans les violences sexuelles, il y a des pratiques sous la contrainte, il y a le viol. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, dans ma proposition de loi, j'incrimine le viol entre époux en le mentionnant explicitement dans la loi, bien que la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation ait déjà reconnu le viol entre époux depuis 1992. Cependant, le grand public, mais aussi les agresseurs, ignorent totalement cette jurisprudence.

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