DOSSIERS


PLAINTES POUR HARCÈLEMENT SANS SUITE

"J’ai besoin d’être reconnue en tant que victime"

jeudi 20 juillet 2006

Les huit plaintes et deux lettres au Procureur de la République de Saint-Pierre déposées par Reine-Claude Klein sont restées sans suite. Depuis 4 ans, cette enseignante de 37 ans est harcelée, menacée de mort par son ex-concubin avec qui elle partage la garde de leur fille Solène, 5ans. La jeune femme a fait appel à l’UFR en quête d’une reconnaissance en tant que victime et ainsi pouvoir construire un avenir.

DROITS HUMAINS

C’est à la naissance de sa fille Solène que la vie de couple de Reine Claude Klein a basculé. Le père de l’enfant, son concubin depuis 13 ans, a souhaité faire chambre à part. "Il ne s’occupait plus de rien, ne portait aucune attention à sa fille, ni à moi." Puis un dimanche, alors que Solène approchait de ses 1 an, pris d’un excès de folie, "il a tenté de m’étrangler à plusieurs reprises", raconte Reine-Claude. La poigne musclée de son concubin a cloué la jeune femme au sol durant de longues heures. Son agresseur a fini par faire appel à SOS Médecin, tard dans la soirée, avançant que la femme avait été victime d’une crise de nerfs.

"On m’a administré une dose de morphine, se souvient Reine-Claude. Je ne voulais pas, j’avais très peur. Je suis partie en catastrophe, me suis sauvée." En pleine nuit, sous l’effet du calmant, elle s’est endormie au volant, échappant de justesse à un accident de la route qui aurait pu lui être fatal. Puis dans un sursaut de conscience, l’image de sa fille, restée seule avec son père, lui est revenue. La jeune femme a alors puisé dans ses dernières ressources pour retourner à ses côtés, la retrouvant là ou elle l’avait laissée avant son agression : dans son parc, en pleurs et affamée.

Dès le lendemain, elle quittait le domicile conjugal pour trouver, sans le soutien de sa famille vivant hors de l’île, un petit appartement dans la commune du Tampon.

Je vais te tuer

Depuis février 2002, Reine-Claude subit "toutes sortes de harcèlements, de tentatives d’agressions, de menaces de mort avec des papiers sur mon pare-brise, dans ma boîte aux lettres qui disent : "Je vais te tuer". J’ai dû déménager suite à un cambriolage ciblé où seuls mes documents de justice, mes plaintes ont été volés." Malgré les messages de menaces enregistrés sur son téléphone portable et transmis à la gendarmerie de la Ravine des Cabris, malgré les témoignages écrits de proches ou de voisins, les 8 plaintes pour harcèlement déposées par Reine-Claude aux services de police sont à ce jour restées sans suite. "Elles ont toutes été classées, avance la jeune femme. On a dit à mon avocat que l’on n’a pas le temps de régler tous les dossiers, qu’il y a d’autres priorités comme les meurtres."

Ses deux lettres détaillées transmises au Procureur de la République Saint-Pierre sont également restées sans réponse. "On me dit d’un côté que l’on suit l’affaire, poursuit Reine-Claude, mais quand je rappelle pour savoir ce qui est engagé, on me dit que le procureur n’a pas le temps de lire tous les dossiers. On me précise que si c’est jugé important, il (son ex-concubin) sera convoqué, et que si c’est jugé moins important, secondaire, vu le nombre de cas à traiter, mon dossier sera classé." Mais pour Reine-Claude, cette affaire n’est pas classée.

"On ne veut rien entendre"

Sa dernière plainte, déposée au Commissariat de Saint-Pierre, remonte au mois d’avril de cette année, lorsque son ex-concubin a suivi Reine-Claude et sa fille jusqu’à la plage, où il les a assaillies d’insultes en public. "Nous étions dans l’eau, la petite était en larmes, nous sommes parties très vite", explique la victime.

Le juge des affaires familiales a opté pour un mode de garde partagée de Solène. Reine-Claude estime que sa fille a besoin de voir son père mais quant à elle, elle "évite au maximum de le croiser. Il passe toujours la récupérer à l’école, cela évite que l’on se croise, qu’il soit tenté de se mettre en colère devant Solène." Pour Reine-Claude, son ex-concubin a effectivement une colère en lui qu’elle n’explique pas et qu’il exprime dans les sports de combats, "les combats de rue". La jeune femme raconte qu’il lui est déjà arrivé, durant ses entraînements, d’enrouler de la canisse autour d’un arbre et de frapper dessus jusqu’à ce que ses poings soient en sang. "Je pense que quelque chose ne va pas chez lui, qu’il est instable psychologiquement. J’en ai fait part au juge, mais on ne veut rien entendre. On pense qu’en disant cela, je veux garder ma fille pour moi, écarter son père. Mais mon objectif est surtout de la protéger."

Au milieu : Solène, 5 ans

Bien que sa maman précise faire son "maximum pour que ma fille ne souffre pas de cette situation, pour qu’elle ait tout ce dont elle a besoin pour s’épanouir", il s’avère qu’à 5 ans, Solène manifeste quelques troubles psychologiques. "Elle ne sait plus sur quel pied danser, appréhende le lendemain, souffre d’un manque d’affection de la part de son père." Le dernier jour de classe, son papa devait venir la chercher à l’école pour passer ses premiers jours de vacances, mais à 17 heures 30, l’école a contacté Reine-Claude : il n’était pas venu et restait injoignable. C’est arrivé par trois fois et à chaque fois, le papa s’est retourné contre Reine-Claude déposant une plainte au pénal pour non-représentation d’enfant. Cette dernière a sollicité le témoignage écrit de la directrice de l’école, mais cette dernière a refusé d’intervenir dans ce qu’elle considère être un problème de couple.

"Je me bats pour ma fille"

Reine-Claude souhaiterait un peu de sérénité pour construire la suite de sa vie, aux côtés de sa fille, dont elle ne souhaite que le bonheur. "Je suis descendue très bas et aujourd’hui encore, je suis en train de remonter la pente. Je me bâts pour ma fille qui est là, heureusement, je me bâts pour nous. Ce qui est le plus dur, c’est que tout le monde semble s’en ficher. Je ne suis pas écoutée. On semble vouloir me dire que ce que je vis n’est pas grave comme si c’était normal. Mais j’ai besoin d’être reconnue en tant que victime pour repartir, pour aller de l’avant et c’est très difficile."

Reine-Claude, face à l’autisme des autorités, a fait appel à l’UFR. L’Union des Femmes Réunionnaises est le dernier recours pour nombre de victimes dans le même cas. L’association, submergée elle aussi par les demandes, ne bénéficie d’aucun soutien pour remplir la mission qu’elle s’est donnée et qui s’avère d’une grande utilité publique. Comme le souligne souvent sa présidente la députée Huguette Bello, le désengagement des autorités est décourageant, mais il faut néanmoins, malgré la fatigue et la solitude qui pèsent parfois, continuer à se battre, comme les générations de femmes avant nous pour que soient appliqués les textes de loi, fruits de leurs luttes, pour que les droits des femmes, encore extrêmement fragiles, soient respectés.

Stéphanie Longeras

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Toutes les plaintes sont recevables

"Souvent la parole de l’un contre celle de l’autre"

Nous avons contacté la gendarmerie de la Ravine des Cabris auprès de laquelle Reine-Claude Klein a déposé plusieurs de ses plaintes pour harcèlement afin de savoir s’il existe des critères de gravité qui influent dans le traitement des dépositions.

Selon le gendarme Fressonnet, au standard ce jour-là, "toutes les dépositions sont recevables", "il n’existe aucun critère, nous sommes tenus d’enregistrer toutes les plaintes des personnes qui se rendent dans nos bureaux", charte de l’accueil de 2004 à l’appui. Néanmoins, l’enquête qui suit, automatiquement selon le fonctionnaire de police, est en fonction de la gravité des faits relatés par la victime, d’éventuels certificats médicaux ou de la présence de témoins. Sans que notre interlocuteur ne soit au fait des éléments du dossier, il admet possible que la suite donnée à la plainte de Reine-Claude se soit limitée à une convocation de la personne accusée, en l’occurrence son ex-concubin. C’est alors "souvent la parole de l’un contre celle de l’autre et les personnes mises en cause sont souvent assez malignes..." Quoi qu’il en soit, il n’appartient pas à la gendarmerie de trancher de quelque façon que ce soit. Seul le parquet est à même de décider des suites à donner à la plainte au vu des éléments de l’enquête qui lui ont été transmis. Le gendarme Fressonnet précise que "si pour une raison X ou Y, une personne se sent lésée, elle a toute latitude, avec les éléments de ses plaintes, pour porter réclamation auprès du procureur."

S. L.

"J’ai besoin d’être reconnue en tant que victime"

Article paru dans Témoignages le jeudi 20 juillet 2006 (page 3)

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