DOSSIERS
L'absence de regret de l'accusé peut être vécue de façon très douloureuse par la victime.

jeudi 21 juillet 2005

L'absence de regret de l'accusé peut être vécue de façon très douloureuse par la victime.

Angers, les effets pervers d'un procès

Par Jacques LECOMTE

Jacques Lecomte est chargé de cours à l'université Paris-X.

Comme beaucoup de procès pour maltraitance et abus envers des enfants, le procès d'Angers risque de susciter des espoirs irréalistes chez les victimes. Depuis quelques années se diffuse largement l'idée selon laquelle le procès est en soi psychologiquement réparateur. On attend de lui qu'il «rende justice» à la personne de son drame. Une telle perspective risque malheureusement de conduire à de graves désillusions.

Tout d'abord, rappelons que la finalité de la justice n'est pas thérapeutique. Elle a pour fonction de dire la loi, de préciser qui est coupable et qui est victime, et de sanctionner le premier, ainsi que de prohiber la vengeance aveugle. Le tribunal peut cependant avoir des effets positifs en étant un lieu majeur où la victime peut exprimer sa souffrance et être entendue d'autrui. Dans l'univers de la protection de l'enfance, nombreux sont donc ceux qui pensent que la justice est une condition nécessaire pour la guérison des victimes.

Mais le risque existe d'une confusion fondamentale, car au tribunal se jouent parallèlement deux modes très différents de reconnaissance du statut de victime : une reconnaissance par la justice, une reconnaissance par l'auteur des faits.

Incontestablement, une décision de justice condamnant clairement l'auteur d'actes inacceptables soulage la plupart des victimes. Mais, pour nombre d'entre elles, l'enjeu essentiel se situe ailleurs. Ce qu'elles attendent du procès, c'est plus le regret de l'abuseur que la sanction, même si celle-ci peut être importante. S'il a lieu, ce regret offre à la personne un tremplin vers la reconstruction en lui restituant son statut de victime. Ainsi, lorsque le coupable reconnaît la gravité du tort causé et qu'il regrette son acte, il facilite énormément le parcours de résilience de sa victime.

Malheureusement, les choses ne se passent pas toujours ainsi, loin s'en faut ! Dans une étude, le parent maltraitant s'est excusé dans seulement 15 % des cas, et, dans 80 % des familles, les parents ne pensaient pas que l'abus était mauvais.

De fait, à Angers comme dans beaucoup d'autres procès, les principaux accusés nient leur responsabilité, en particulier Franck V., qui comparaît pour 15 viols, 18 agressions sexuelles et proxénétisme aggravé. D'autres adoptent la stratégie de l'amnésie : «Je ne me souviens pas», «Je n'ai rien vu».

Cette absence de regret est généralement vécue de manière très douloureuse. L'enquête que j'ai menée auprès d'adultes maltraités dans leur enfance montre clairement que beaucoup attendent encore, encore et toujours cette parole très simple mais immensément libératrice : «Je regrette ce que je t'ai fait.» Si le coupable s'enferme dans sa suffisance et son mépris, le procès entraîne parfois plus de souffrances que de bienfaits. Pensons par exemple à certaines affaires de viol collectif où les coupables affirment que la jeune fille était consentante. L'effet peut être dramatique.

Il n'est donc pas rare que la procédure judiciaire fasse plus de mal que de bien. Il est faux d'affirmer, comme certains le font, que le passage par la justice est en soi bénéfique.

Examinons les différentes étapes du parcours judiciaire, chacune étant susceptible d'infliger des souffrances supplémentaires aux victimes.

Avant le procès : le parcours judiciaire est éprouvant, parfois plus douloureux encore que les actes subis. L'audition d'enfants victimes est parfois réalisée d'une manière qui constitue un nouveau traumatisme. De plus, il n'est pas rare que l'instruction aboutisse à un non-lieu par manque de preuves suffisantes. Effondrement de l'enfant abusé : «Mais comment c'est possible, mais ils ne me croient pas !» Et l'éducateur doit alors déployer des trésors de délicatesse et de diplomatie pour tenter d'expliquer que non-lieu ne signifie pas nécessairement absence de culpabilité, mais insuffisance de preuves. Mais, pour l'enfant victime, cette nécessaire distinction est souvent mal comprise.

Au cours du procès : d'autres personnes que le coupable sont susceptibles de provoquer de grandes souffrances chez la victime au cours du procès, par exemple :

la mère et les proches d'une victime, s'ils se retournent contre celle-ci et la calomnient d'avoir révélé la situation, puisque cela a conduit la famille à l'opprobre publique, à la pauvreté, parfois à l'éclatement. Elle passe alors du statut de victime à celui de coupable ;

l'avocat de l'accusation qui, pour charger le père coupable, utilise des arguments destinés à impressionner les jurés, mais sûrement pas à faciliter la reconstruction psychologique de l'enfant : «Monsieur, rendez-vous compte de ce que vous avez fait, vous avez détruit la vie de cet enfant !» ou encore : «Avec ce qu'elle a subi, cette jeune fille ne pourra jamais avoir une vie sexuelle normale !»

A la fin du procès : même dans les cas où la sentence tombe sur le coupable, certains aspects de celle-ci peuvent être mal ressentis par la victime. Ainsi, l'indemnisation financière imposée au père incestueux (souvent payée en fait par la Commission d'indemnisation des victimes) donne souvent lieu à une réaction ambivalente chez les jeunes victimes. Elles apprécient généralement cette expression concrète d'une volonté de réparation manifestée par la justice, même si chacun est bien conscient de l'écart important entre la gravité du préjudice infligé et l'indemnisation financière accordée. Mais, pour certaines victimes, c'est de l'«argent sale», le prix à payer par le coupable pour avoir pu profiter du corps de l'enfant, ce qui fait penser à l'argent versé à une prostituée. Dans de tels cas, l'argent est parfois refusé ou rapidement dilapidé afin qu'il disparaisse aussi vite qu'il est apparu.

En décrivant ces situations, je ne cherche nullement à minimiser l'impact positif que peut avoir la justice. D'ailleurs, pour nuancer le tableau, j'aimerais citer deux histoires vécues. L'une est une affaire de pédophilie qui a eu dans une ville moyenne de province dans l'est de la France. Le responsable local du mouvement de jeunes, en place depuis plus de dix ans, était un notable connu et respecté : marié et père de deux enfants, agent immobilier, membre du Rotary Club et du conseil économique du diocèse. Personnage exemplaire en public... et pédophile en privé. Le rappel des faits a été particulièrement pénible pour les victimes, âgées de 18 à 20 ans, qui avaient été contraintes, par la terreur, d'avoir des relations sexuelles avec l'accusé, mais aussi entre eux et devant lui pendant près de huit ans. Ils ont été particulièrement choqués de ce que l'accusé n'ait exprimé aucun remords ou regret, et encore moins demande de pardon. Lui qui avait martyrisé ces jeunes garçons en les terrorisant semblait totalement hermétique à leur douleur et à celle des parents dont il avait été très proche. Il a été finalement condamné à dix-huit ans de prison ferme. Ces jeunes hommes sont cependant parvenus à surmonter cette nouvelle épreuve, essentiellement grâce à deux éléments : le témoignage de deux experts psychiatres qui ont démonté le mécanisme de la perversion, et la lourdeur de la peine. Dans ce cas donc, le fait que la justice les ait reconnus comme victimes a pu compenser partiellement le fait que l'abuseur ne l'ait pas fait.

La deuxième affaire concerne une femme âgée aujourd'hui d'une quarantaine d'années. Sa mère ne l'a jamais aimée, elle a grandi sans père et son beau-père l'a violée de l'âge de 10 à 18 ans et demi, avec la complicité de sa mère. Après de longues années de souffrance, elle leur en parle et ils reconnaissent les faits. Mais cela ne lui suffit pas, elle a besoin que la justice la reconnaisse comme victime et elle décide donc de porter plainte contre eux. Mais cela n'est plus possible car elle a révélé ces abus bien après le délai de prescription.

De nombreuses personnes lui conseillent d'abandonner : son médecin généraliste, sa psychiatre, sa cousine, un sénateur. De plus, elle constate qu'aux yeux de la plupart des membres de sa famille le plus grave n'était pas ce qu'elle avait subi, mais le fait qu'elle ait osé le dire ! Certains lui lancent : «Mais quelle idée as-tu eue de le révéler maintenant, alors que tu avais bien vécu jusqu'ici sans en parler à personne ?» Mais, décidée à se battre, Thérèse remue ciel et terre. Finalement, au bout de longues années, la Commission d'indemnisation des victimes et infractions (Civi) la reconnaît officiellement victime. Elle se sent enfin libérée de l'énorme poids qui pesait sur elle depuis fort longtemps. La reconnaissance du statut de victime par la justice lui a permis de tourner la page, d'entamer un véritable processus de reconstruction.

La conclusion de tout ceci s'impose d'elle-même : toutes les victimes n'attendent pas la même chose du procès. Pour certaines, ce sera surtout la décision de justice, pour d'autres le regret du coupable. Que les travailleurs sociaux et les psychologues veillent à les accompagner dans ce qui constitue le principal enjeu à leurs propres yeux en évitant de plaquer leurs convictions personnelles. C'est sûrement le meilleur service qu'ils puissent leur rendre.

Dernier livre paru : Guérir de son enfance, Odile Jacob, 2004.

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